Association Culturelle et Musicale Au Fil des Ondes

Vicq-sur-Gartempe - 21 août 2020

Concert pour les adhérents

Concert sous les étoiles

Le Quatuor Ebène

et ses invités

Nicolas Alstaedt, Antoine Tamestit

Violons        : Pierre Colombet, Gabriel Le Magadure

Altos            : Marie Chilemme, Antoine Tamestit

Violoncelles : Raphaël Merlin, Nicolas Alstaedt

Après avoir enregistré les 7 CDs de l’intégrale Beethoven pour quatuor au cours de 2019, et ce en concert tout autour du monde (en cela, nous espérions rendre compte de la portée actuelle du message universel de ce grand idéaliste), le Quatuor Ébène a vu sortir en 2020 le coffret de ces 7 CDs pour les 250 ans de la naissance du compositeur. Cette même année était supposée nous donner l’occasion de jouer cette intégrale en concert dans les plus grandes salles du monde, parfois d’une traite (par exemple en 2 WE enchaînés, soit 6 concerts, défi particulièrement difficile), soit en plusieurs séquences, comme c'est prévu à la Philharmonie de Paris en octobre, novembre et décembre prochain.

Nous avons perdu 40 concerts, notre rythme s’est brutalement interrompu comme pour tellement de gens dans tous les secteurs d’activité. Pour tenter de rester productifs, nous avons décidé d’enregistrer 2 disques, (sur l’un des deux, les quintettes de Mozart avec Antoine Tamestit, sur l’autre ce programme autour de la Nuit) tout en gardant la volonté de mettre à profit cette période inédite pour gagner en sérénité et en patience, la vie qui est la nôtre habituellement étant plutôt source d’une excitation intense, mais aussi souvent de grande fatigue nerveuse.

Ce soir, le concert débutera par 2 suites pour violoncelle seul de Bach, la deuxieme en ré mineur et la cinquième en ut mineur, jouées par notre camarade Nicolas Altstaedt qui a mis à profit le confinement pour se plonger dans l’intégrale des 6 suites, sommet de la littérature pour violoncelle. Notre quatuor et Antoine Tamestit le rejoindront, pour vous présenter la fresque Night Bridge que nous avons imaginée pour introduire, sans rupture ni applaudissements, la Nuit Transfigurée de Schönberg

Antoine et Nicolas sont de vieux amis, en quelque sorte des frères dans notre petite histoire, rencontrés tous deux en Allemagne. Nicolas a rencontré Raphaël en stage d’été dans le Schleswig-Holstein en 2002. Antoine, qui était déjà un altiste parmi les plus en vue, a remporté le concours de Munich en 2004, la même année que nous dans la catégorie quatuor : nous avions un peu le sentiment d’appartenir à la délégation française aux jeux olympiques de la musique ! Ces liens de camaraderie puis d’amitié se sont encore renforcés avec les années, nous ne nous sommes jamais perdus de vue et la vie des concerts nous a régulièrement permis de grandir et mûrir conjointement. Nous sommes particulièrement heureux qu’ils aient tous deux accepté de nous rejoindre à Vicq cette année. 

Grâce à ce concert il ne sera pas dit que le coronavirus a vaincu Les Chaises Musicales. Le petit village a résisté à l’envahisseur, qui a pourtant décimé la plupart des festivals d’été cette année. 

Nous voulons adresser un très chaleureux remerciement aux adhérents  de l’Association « Au fil des Ondes », enthousiastes et généreux, qui ont permis que ce rendez-vous, à nos yeux essentiel, demeure. Nous sommes  reconnaissants aux membres du CA de l’Association, dont les efforts incessants ont une fois encore trouvé écho favorable à la Mairie de Vicq-sur-Gartempe.

Espérons en tout cas que cette période portera des fruits nouveaux dans chaque strate de notre société, et que le ralentissement des activités augmentera notre capacité d’écoute et de fraternité. 

Quatuor Ébène

 


Nicolas Altstaedt, violoncelle et direction d’orchestre

Depuis qu’il a remporté le prix Young Artist du Crédit Suisse en 2010 pour son exécution du concerto de Schumann au festival de Lucerne avec le Vienna Philharmonie sous la direction de Gustavo Dudamel, il joue partout dans le monde avec de nombreux orchestres, comme le Tonhalle Orchestra Zurich, le Czech Philharmonic, le NHK Symphony Orchestra de Tokyo, l’Orchestre national symphonique de Washington, et les orchestres de la BBC, sous la direction de chefs d’orchestre renommés, dont Sir Roger Norrington, Francois Xavier Roth, Lahav Shani, et aussi avec des ensembles historiques sous la baguette de René Jacobs, Philippe Herreweghe et Giovanni Antonini.

En tant que violoncelliste chambriste, Nicolas travaille avec divers musiciens, notamment Janine Jansen, Jean Rondeau, le Quatuor Ébène et avec les compositeurs Thomas Ades, Jörg Widmann et Fazil Say.

En tant que chef d’orchestre, il a travaillé avec l’Ancient Academy of Music, l’Orchestre de chambre écossais et l'OPRF de Paris. En 2012, Gidon Kremer choisit Nicolas pour lui succéder en tant que directeur artistique du Lockenhaus Chamber Music Festival et en 2015 Nicolas est nommé chef d’orchestre principal du Haydn Philharmonie par Adam Fischer.

Nicolas a récemment donné la première du concerto pour violoncelle d’Esa Pekka Salonen sous sa direction au Helsinki Festival où il a été acclamé ; et il a été l’artiste phare du Concertgebouw à Amsterdam.

L’enregistrement de son interprétation des concertos de Carl Philipp Emanuel Bach a reçu le prix BBC Music Magazine Concerto en 2017 et son dernier enregistrement d’un récital avec Fazil Say sur Warner Classics a reçu le prix Edison Klassiek en 2017.

Nicolas Altstaedt a été artiste en résidence au NDR Elbphilharmonie de Hambourg lors de la saison 2018-2019 et cette saison au SWR Orchester sous la direction de Teodor Currentzis. 


Antoine Tamestit, alto

Fils du violoniste et compositeur Gérard Tamestit, Antoine Tamestit, né à Paris en 1979, a étudié avec Jean Sulem au CNSM de Paris, Jesse Levine à l’Université de Yale et Tabea Zimmermann à Berlin. Lauréat de nombreux prix dont en 2004 le premier prix du concours international ARD de Munich et révélation soliste instrumental de l’année aux Victoires de la Musique, il a enseigné lui-même à partir de 2007 à la Hochschule für Musik de Cologne et au CNSM de Paris, et donne régulièrement des masterclasses dans le monde entier.

Antoine Tamestit est reconnu internationalement comme l'un des plus grands altistes solistes. Il travaille régulièrement avec le London Symphony Orchestra, l’Orchestre Philharmonique de Vienne, l’Orchestre de Paris, l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, et avec des chefs tels que Sir John Eliot Gardiner, Valéry Gergiev, Daniel Harding, Paavo Järvi, Riccardo Muti, ou encore Francois Xavier Roth.

Membre fondateur du Trio Zimmermann avec Frank Peter Zimmermann et Christian Poltera, il se produit également avec Gautier Capuçon, Leonidas Kavakos, Emmanuel Pahud, Yuja Wang ou encore le Quatuor Ébène.

Plébiscités par la critique internationale, les enregistrements d’Antoine Tamestit pour Harmonia Mundi incluent Bach avec Masato Suzuki, Widmann avec Daniel Harding, et du Bel Canto avec Cédric Tiberghien.

Son répertoire s’étendant sur près de 3 siècles il a donné la création mondiale des œuvres de Thierry Escaich, Jörg Widmann, Bruno Mantovani, Olga Neuwirth, ainsi que de celles de son père Gérard Tamestit.

Antoine Tamestit est directeur artistique du Viola Space Festival au Japon, se concentrant sur le développement du répertoire d'alto et de nombreux programmes éducatifs.

Il joue sur un alto Stradivarius de 1672, prêté par la Fondation Habisreutinger.


Jean-Sébastien Bach (Eisenach, 1685 – Leipzig, 1750)

Composées entre 1720 et 1725, alors que Bach est maître de chapelle à la cour du prince Léopold d'Anhalt-Coethen, puis Cantor de l'église Saint Thomas de Leipzig, les six suites suivent un plan de suite de danses avec quatre danses obligatoires : allemande, courante, sarabande et gigue, toutes dans la même tonalité, introduites par un prélude, et comportant aussi avant la gigue, soit un menuet, soit une gavotte. L'allemande est l'ancêtre de l'allegro de sonate, la sarabande est l'ancêtre du mouvement lent de la sonate, le menuet ou la gavotte est l'ancêtre du 3ème mouvement de sonate, et la gigue l'ancêtre du mouvement vif et conclusif de la sonate.

Suite pour violoncelle n° 2 en ré mineur, BWV 1008 (1721)

  • Prélude
  • Allemande
  • Courante
  • Sarabande
  • Menuet I & II
  • Gigue

Suite pour violoncelle n° 5 en do mineur, BWV 1011 (1724)

  • Prélude
  • Allemande
  • Courante
  • Sarabande, dénuée de tout accord, elle est d'une rare profondeur.
  • Gavotte I & II
  • Gigue

Cette suite est écrite pour un violoncelle avec scordatura : do – sol – ré – sol. Cette modification de l'accord courant d'une ou plusieurs cordes qui ici double le sol « à vide » (et semble se régler sur l'accord du luth barroque, instrument auquel est destinée la seule version autographe de cette suite) confère un timbre particulier à l'instrument, le sol aigu faisant vibrer le sol et le do graves. 

D'une façon générale, cette suite est d'un goût plus français que les autres : le prélude est décomposé en deux parties (il s'agit d'une ouverture à la française, formatée par Lully) : une section grave et lente, sombre et solennelle, exploitant richement les possibilités du violoncelle pour simuler des effets de pédale puis une fugue vive et virtuose, terminée par une forme de cadence ou de toccata. La gigue est dans le style français, plutôt que dans le style italien des cinq autres suites.

 


Night bridge

Originalement conçue pour relier le quatuor de Dutilleux Ainsi la Nuit au sextuor de Schönberg La Nuit Transfigurée, la fresque musicale Night Bridge rassemble et enchaîne des arrangements libres de quatre standards de jazz évoquant la nuit : Moon River, Night and Day, Stella by Starlight, Round Midnight. Le style d’écriture s’inspire très librement de chacun de ces deux langages (Dutilleux et Schönberg), tous deux parfois relativement proches de celui du jazz américain ; le fondu sur lequel s’achève cette création du quatuor Ébène invite à enchaîner, sans applaudissements, avec le chef d’œuvre de jeunesse d’Arnold Schönberg.

 


Arnold Schönberg (Vienne, 1874 – Los Angeles, 1951)

La Nuit transfigurée, (Verklärte Nacht) opus 4, décembre 1899, version pour sextuor à cordes ; 1917, version pour orchestre à cordes, révisée en 1943.

Le sextuor fut créé à Vienne le 18 mars 1902, par le quatuor Rosé et deux musiciens de l’orchestre philharmonique de Vienne. Première partition importante de Schönberg, alors âgé de 25 ans et nourri de tradition germanique (Brahms, Wagner), elle tire son originalité du fait qu'elle appartient à la fois au domaine de la musique de chambre, dans le sillage des deux sextuors de Brahms, tout en s'inspirant d'un texte poétique, conception qui relève habituellement du domaine symphonique (les principaux poèmes symphoniques de Richard Strauss étaient écrits en 1898). Et ainsi Schönberg réalise un compromis entre deux extrêmes que le romantisme avait pris soin de bien séparer.

La partition est écrite d'après un poème de Richard Dehmel (1863-1920), auteur mystique alors à la mode et souvent mis en musique par Schönberg et Webern, poème qui relate le dialogue entre un homme amoureux et une femme qui lui avoue attendre un enfant d'un autre homme : et la musique agira comme un commentaire des sentiments exprimés et non comme illustration d'une quelconque action. Dans la tonalité principale de ré mineur, la forme suit de près celle du poème en cinq parties enchaînées : 

« Deux êtres vont à travers la forêt froide et dénudée, la lune accompagne leur marche, ils la regardent... » Situation traditionnelle d'un couple amoureux au clair de lune, (très lent).

« Je porte un enfant et il n'est pas de toi, je suis dans le péché en étant à tes côtés. J'ai commis envers moi-même une faute grave. Je ne croyais plus au bonheur et pourtant je désirais ardemment donner un sens à ma vie, les joies et les devoirs de la maternité, alors j'ai eu l'audace de me donner en frissonnant à un étranger... » Cet aveu se fait avec la présentation du thème principal, dans un tempo plus animé, dont l'expression dramatique s'intensifie dans un dialogue tourmenté entre cordes graves et aiguës.

« Elle marche à pas maladroits. Elle lève son regard vers les cieux ; la lune accompagne leur marche... » L'attente de la réaction de l'homme, courte période de transition basée sur le retour du thème d'introduction lourdement martelé, s'achève symboliquement dans la tonalité éloignée de mi bémol mineur.

«... Que l'enfant que tu as conçu ne soit pas un fardeau pour ton âme. Ô, vois de quelle clarté brille l'univers ! Tout alentour une splendeur répand son éclat. Tu flottes avec moi sur la mer glaciale et pourtant une chaleur singulière rayonne en vibrant de toi en moi, de moi en toi...» La réponse de l'homme dont l'amour triomphe de l'épreuve installe le ré majeur au cœur de l’œuvre, sur la texture transparente du bruissement des cordes avec sourdine. Cette section introduit aussi le second thème principal, se poursuit en un long duo qui débouche sur le retour du premier thème transfiguré par le mode majeur. 

« Il enlace ses lourdes hanches, leurs haleines se rejoignent dans un baiser. Deux êtres vont à travers la sainte nuit baignée de clarté. »Une longue coda forme la cinquième partie, sorte d’hymne à la rédemption par l’amour.

La Nuit transfigurée doit beaucoup à Wagner dont Schönberg avouait avoir appris « la possibilité de transformer les qualités expressives des thèmes et la bonne manière de les construire dans ce dessein. » Mais elle doit aussi beaucoup à Brahms dont Schönberg avait appris « la conception systématique de l’aspect global d’un mouvement. »

Dans un article de 1937, intitulé « Comment on devient un homme seul », Schönberg revient sur la création de l'œuvre : « La première audition de ma Nuit transfigurée s’acheva par une émeute où furent échangés de véritables horions. Et ce ne furent pas seulement quelques personnes parmi les auditeurs qui se servirent de leurs poings, mais aussi certains critiques, à la place de leurs plumes. L’un d’eux écrivait ensuite : « Ce sextuor m’a fait l’effet d’un veau à six pattes, comme on en voit souvent à la foire. » Il disait six pattes parce que l’œuvre est un sextuor, mais il oubliait que six exécutants marchent sur douze pieds. Et il oubliait pareillement que dans cette œuvre il y avait pourtant quelques passages accessibles à tout le monde même à cette époque. »