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Interview

 

 

 

How I met Pierre Génisson

 

par Cinzia Rota | le 2 juin 2017

 

A l’occasion de la sortie de son nouvel album How I met Mozart, nous avons rencontré Pierre Génisson. Le clarinettiste nous parle de sa rencontre et sa collaboration avec le Quartet 212, composé par David Chan, Catherine Ro, Dov Scheindlin et Rafael Figueroa, solistes de l’orchestre du Metropolitan Opera de New York et de sa vie entre les États-Unis et la France.

 

 

Qu’est qui vous a amené à la clarinette ?

Je baigne depuis tout petit dans la musique, du coup être musicien a toujours été pour moi une évidence.

Je suis issu d’une famille de musiciens, mon arrière grand-père était clarinettiste, ma grand-mère claveciniste et organiste et ma sœur pianiste.

J’ai essayé la clarinette et ça a marché très vite, donc je ne me suis pas trop posé la question. J’ai aussi fait du piano et j’ai été organiste.

 

 

Votre nouvel enregistrement How I met Mozart est le fruit d’une collaboration avec le Quartet 212, composé par David Chan, Catherine Ro, Dov Scheindlin et Rafael Figueroa, solistes du Metropolitan Opera de New York. Pourriez-vous nous parler de ce projet ?

Nous nous sommes rencontrés au festival Musique et Vin au Clos Vougeot.

Tout a commencé lorsque j’avais 24 ans et que je faisais mes débuts avec la Philharmonie de Berlin, dans la Rhapsodie de Debussy et le Double concerto de Bruch. A ce moment-là on m’a parlé d’un festival franco-américain qui s’intéressait à moi.

J’ai donc été invité en tant que jeune talent, au festival Musique et Vin au Clos Vougeot, où j’ai rencontré son directeur artistique, David Chan.

Avec lui et son Ensemble 212, j’ai joué le Quintette [ avec clarinette en la majeur K. 581 ] de Mozart au festival, et cela a été très révélateur : je me suis retrouvé dans un moment de plénitude où j’ai eu l’impression de comprendre quelque chose de nouveau.

Il y avait une évidente communion entre nous et j’ai su que si un jour je devais enregistrer ce serait avec eux.

How I met Mozart est donc né d’une envie de partager cette rencontre et raconter une histoire. David a tout de suite cerné le projet et les autres musiciens étaient en demande d’un projet de ce type. Aujourd’hui ils sont un peu comme de la famille pour moi !

La rencontre avec le quatuor a fait évoluer dans mon rapport avec le Quintette de Mozart, qui fait partie intégrante du répertoire et de ma vie depuis toujours.

C’est comme si je l’avais vraiment compris et comme si en jouant ensemble on pouvait éteindre le chaos du monde. C’est une musique qui se vit sur le moment, qui est juste magique : elle s’apprend et elle parle directement au cœur.

 

 

 

 

Comment avez vous décidé d’associer le quintette de Mozart à celui de Weber ?

Comme le Quintette de Mozart n’était pas suffisant pour faire un album, j’ai cherché une œuvre d’un autre compositeur qui aurait pu bien s’y intégrer.

Souvent on associe le Quintette de Mozart à celui de Brahms, mais je trouve qu’ils sont trop éloignés du point de vue de l’écriture comme dans la manière d’utiliser l’instrument.

Du coup j’ai pensé à Carl Maria von Weber et à son Quintette [ avec clarinette en si b majeur, op. 34 ] car c’est un compositeur qui sent le Sturm und Drang et les opéras du XIXème, et qui, comme Mozart, a fait beaucoup avancer la musique. En plus il y avait un lien personnel entre ces deux compositeurs, puisque Constanze Weber, cousine de Carl Maria est devenue l’épouse de Mozart.

J’ai également considéré d’une part que Mozart et Weber ont utilisé la clarinette comme instrument au maximum de son potentiel — bien évidemment selon l’esthétique de leurs époques respectives — et d’autre part leur relation fondamentale avec l’opéra, qui leur fait utiliser l’instrument comme s’il s’agissait d’un chanteur qui chante un air.

Tout est dans la mélodie et les couleurs : sans mots, à travers le caractère des mouvements ou dans la texture des chants, on arrive à exprimer des valeurs universelles.

 

Car la clarinette n’est pas qu’un instrument d’orchestre…

C’est un instrument qui peut avoir énormément de nuances. Beaucoup de compositeurs, tels que Mozart, Weber et Brahms, se sont intéressés à la clarinette à la fin de leur vie, comme si l’instrument permettait des questionnements crépusculaires, et creusait une sorte de chemin vers l’au-delà.

Par exemple, dans le Requiem de Mozart une grande partie est confiée au cor de basset, à cause de son timbre mystérieux, quasiment mystique.

Pierre Génisson © Denis Gliksman pour Buffet Crampon
Pierre Génisson © Denis Gliksman pour Buffet Crampon
Le Quartet 212, composé par David Chan, Catherine Ro, Dov Scheindlin et Rafael Figueroa © DR
Le Quartet 212, composé par David Chan, Catherine Ro, Dov Scheindlin et Rafael Figueroa © DR
Pierre Génisson © Denis Gliksman pour Buffet Crampon
Pierre Génisson © Denis Gliksman pour Buffet Crampon
Pierre Génisson © Denis Gliksman pour Buffet Crampon
Pierre Génisson © Denis Gliksman pour Buffet Crampon

Après un premier enregistrement plus « francophile », Made in France, avec le pianiste David Bismuth, voici How I met Mozart. Ce clin d’œil à la série How I met your mother, en est aussi un à votre nouvelle vie aux États-Unis ?

Évidemment. Quelque part, dans ces enregistrements, je raconte ma vie. Made in France était dédié à l’héritage musical de la tradition française, que j’ai appris au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, dans la classe de Michel Arrignon, et à notre grand répertoire, qui s’épanouit grâce à l’existence de nombreux instrumentistes solistes qui enseignent.

En 2012 je suis parti vivre aux États-Unis. Partir à l’étranger m’a libéré dans le jeu et l’interprétation, et m’a permis d’élargir mes horizons et de prendre du recul sur cet héritage.

De l’autre côté de l’Atlantique, il y a une grand liberté d’entreprendre, les gens ne jugent pas, on retrouve une attitude extrêmement positive et accueillante envers ce qu’on est et ce qu’on fait. Ça fait du bien !

Si on a une volonté artistique aux États-Unis on peut réaliser tout ce dont on a envie, de manière extrêmement libre. Cela n’est pas sans danger non plus, mais quand on vient d’un pays avec beaucoup de culture et d’histoire comme la France, cela a tout son sens, car on a des repères culturels.
On se nourrit de ce qu’on vit, c’est la vie quotidienne qui permet de jouer. Le reste je l’apprends grâce à l’enseignement et à mon entourage.

C’est cette curiosité qui vous a poussé à partir au delà de l’océan ?

J’ai toujours eu cette envie, c’était un rêve de jeunesse qui me restait en tête. Un jour une petite voix m’a dit que c’était le moment de partir et j’ai su que c’était maintenant ou jamais.

Trois mois après j’ai candidaté à la Fondation Banque, qui m’a soutenu dans ce projet. Cela m’a donné une sécurité et une sérénité pour partir. J’avais déjà programmé quelques concerts aux États-Unis et mon idée a donc commencé à se concrétiser.